Éditorial du mois

Éditorial de mai 2025

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Gagner du temps ou aimer mieux?

«J’ai perdu mon temps à gagner du temps…» Ce passage de la chanson Pour un instant, une des plus connues du groupe Harmonium, est devenu l’un de mes classiques… lors du rite pénitentiel, à la messe!

On le répète souvent: bien que la technologie nous ait permis d’économiser un temps fou pour certaines tâches, elle a aussi créé, paradoxalement, de nombreuses occasions d’être «affairés sans rien faire», pour reprendre l’expression si juste de saint Paul (2 Thessaloniciens 3, 11). Par exemple, je ressens une drôle de fierté à répondre rapidement à mes courriels au travail. Il m’arrive de terminer mes journées en comptant le nombre de courriels auxquels j’ai répondu: 40, 45, parfois plus de 50! Comme pour me convaincre de ne pas avoir perdu mon temps…

Et pourtant, si je dois tenter de m’en persuader, c’est qu’une petite voix me chuchote qu’à y regarder de plus près, je n’ai pas accompli grand-chose dans ma journée. D’ailleurs, il m’arrive de travailler dix heures sans pouvoir résumer ce que j’ai fait depuis le matin…

Dans une certaine mesure, c’est compréhensible et inévitable. Mais ce qui m’embête le plus, c’est le contraste entre ma rapidité d’exécution pour certaines tâches, et mon extrême lenteur pour d’autres. Si efficace, en général, et si empoté pour aller visiter un ami malade, ou consacrer un quart d’heure à la prière…

En fait, mon empressement sélectif ressemble à celui de mon fils, Henri, qui a l’excuse de n’avoir que six ans. Lorsqu’un match des Canadiens est diffusé à une heure raisonnable, il obtient la permission de regarder la première période, mais seulement s’il est à jour dans ses «responsabilités» du soir. Ce qui l’amène à vouloir se brosser les dents tout en prenant sa douche et, pourquoi pas, en révisant ses devoirs!

L’attrait des divertissements, notre désir de plaire, le souci de performance: autant de raisons qui nous poussent à vivre en mode «accomplissement de tâches», au lieu d’être pleinement présents à ce que nous faisons, aux gens que nous rencontrons. Les activités spirituelles, les gestes d’amour gratuits sont si faciles à remettre à plus tard, car en différer l’exécution ne provoque généralement aucune catastrophe immédiate. Pourtant, à long terme, ils façonnent mieux que nos occupations quotidiennes l’étoffe dont est tissée notre existence.

Sur mon lit de mort, je ne me demanderai pas si j’ai édité suffisamment de livres. Je m’interrogerai à savoir si j’ai assez aimé. Et puisque j’ignore quand viendra mon trépas, autant aimer à chaque occasion qui se présente. Voilà le seul sentiment d’urgence vraiment chrétien!

Jonathan Guilbault